L'Expérience, opéra

l'expérience, opéra, livret et musique D Chevallier

Note d’intention
 
En 1963, Stanley Milgram, psychologue américain, menait une expérience qui, camouflée en un banal test portant sur la mémoire, révèle jusqu’à quel point peut aller l’obéissance aveugle, l’abdication de son propre libre arbitre chez un sujet. Les résultats de cette expérience ont de quoi nous faire tressaillir. Car il s'avère selon elle, qu'une grande majorité des êtres humains est susceptible de commettre des actes cruels, non parce qu'ils le veulent et le décident, mais seulement par obéissance à une autorité qu'ils reconnaissent comme telle. Par ailleurs, reproduite à des époques , en d'autres lieux, et à plusieurs reprises, elle donnera des résultats similaires.
C'est cette expérience, et son funeste débordement dans la vie réelle, révélant au passage un pouvoir politique peu reluisant, qui sont ici portés sur le théâtre, avec le cortège d'émotions et de questionnements qu'ils suscitent chez les personnages. 
Les ressorts de cette attitude manifestement si répandue ?  La crainte ? L'orgueil ? L'agressivité ? Le conformisme  ? Ou bien encore l'influence de notre éducation, influence d'autant plus forte qu'elle est profondément enfouie dans l'inconscient ? Chacun, également mis face à lui-même, fera sa propre lecture de cette "expérience".
 
 
Synopsis
 
Dans une université, deux chercheurs mènent une expérience, dite l'expérience de Milgram, dont le but est d'étudier l'efficacité de la punition sur la mémoire : un cobaye "enseignant" doit lire à un cobaye "élève" une série de trente noms et adjectifs. Celui ci doit les mémoriser, puis dire quel adjectif correspondait à chaque nom. A chaque mauvaise réponse, l'enseignant envoie à l'élève, assis sur une chaise électrique, une décharge. Au fil des mauvaises réponses, des décharges électriques et de la douleur croissante de l’élève, l'enseignant est de plus en plus réticent à continuer, mais le "maître de cérémonie " l'y exhorte. Alors qu'est atteint un point critique, le Conseiller du président, qui assiste à l'expérience, s'indigne, mais est détrompé : les chocs électriques sont fictifs, le prétendu élève un acteur, et sa douleur feinte. On lui dévoile le véritable but de l’expérience : le cobaye est non pas l'élève mais l'enseignant, et il s'agit par ce subterfuge d'étudier jusqu’à quel point peut aller l’obéissance aveugle, l’abdication de son propre libre arbitre chez un sujet.
Le lendemain, l'expérience a de nouveau lieu, mais cette fois elle tourne mal : l'élève n'est pas un acteur, les chocs électriques sont bien réels, et l'élève succombe aux décharges, avant que ceux qui observent l'expérience aient pu intervenir. Car le conseiller du Président, ayant jugé que ce que cette expérience révèle est dangereux pour le pouvoir, a enjoint Kim, un des deux chercheurs, de manipuler l'expérience pour la décrédibiliser, et empêcher une prise de conscience de la part de l'opinion. En attendant, Kim aura été le cobaye le plus probant de cette expérience. "Quelle chance pour les gouvernements que les peuples ne pensent pas..." nous rappelle l'épilogue.
 
 
Résumé du livret 
La scène est où l'on veut, à une époque toute proche de la nôtre.
 
ACTE I
Les locaux d'une université .
sc. 1 le Dr Sem, Angela ; le bureau de Sem.
Sem et Angela vont se marier ; Angela se réjouit des jours et des enfants à venir. Fausse scène de ménage. Evocation de l'expérience de psychologie menée par le Dr Sem et son collègue le Dr Kim dans cette université.
sc.2 les mêmes , le Dr Kim.
Arrive Kim. ( partie coupée dans le livret : Allusion au texte de loi récemment voté : certains traitements ou médicaments ne pourront, suite à des restrictions budgétaires, n'être accordés qu'aux
personnes en situation régulière sur le territoire. Débat ) Angela se met à l'écart et chante un air populaire/une chanson enfantine.
sc. 3 Ana et Jean. un couloir de la dite université.
Rencontre fortuite des deux futurs cobayes qui attendent de participer à l'expérience. Ana, étudiante, caractère bien trempé, révise. Jean l'interroge. Saynète de séduction puis brouille.
 sc. 4 les mêmes, Sobor.(scène muette)
Kim sort du bureau et indique son chemin au conseiller Sobor qui vient assister à l'expérience. Bruits de foule estudiantine (enregistrée).
sc.5 Ana, Angela, Jean, Kim, Sem, Sobor.
D'un coté, la pièce, vitrée et insonorisée, où va avoir lieu l’expérience, avec Ana, l’élève et Kim ; de l’autre, « le poste d’observation », où se placeront Sem , Angela et le Conseiller Sobor.
Ana et Jean sont accueillis par Kim, qui leur explique le principe et le déroulement de l'expérience : Le but en est d'étudier l’efficacité de la punition sur l'apprentissage et la mémorisation. On tire au sort un enseignant et un élève. Ana, ayant été désignée comme « enseignante », s’assied devant un tableau muni de diverses manettes, tandis que Jean, élève, est attaché sur une chaise électrique. Ana lui lira une série de 30 noms et adjectifs, qu'il doit mémoriser. Il devra ensuite se souvenir quel adjectif correspondait à chaque nom A chaque mauvaise réponse, Ana lui enverra une décharge électrique ( qui augmentera de 15 volts à chaque fois). Avant de commencer l'expérience, elle doit elle-même recevoir un choc de 45 V pour avoir une idée de ce qu'elle va infliger à son élève. L'expérience commence, dirigée par Kim. La pièce où elle a lieu est insonorisée. Elle est donc suivie via un retour micro par les observateurs, Sem, Angela, et sobre, le Conseiller du Président qui a été invité par les chercheurs à assister aux deux derniers jours de l’expérience ( Aujourd’hui étant l’avant dernier). Au fil des mauvaises réponses, des décharges électriques et de la douleur croissante de l’élève, Ana est en proie à des hésitations, questionnements et réticences croissants, qu’elle exprime au Dr Kim. Mais celui ci l’encourage et lui enjoint même, de continuer.
sc.6 Les mêmes
Ayant atteint les 270V, Ana est extrêmement angoissée, sans toutefois oser faire marche arrière. Elle tente alors, à l’insu du Dr Kim, de suggérer la réponse à l’élève, afin de diminuer le conflit intérieur entre sa conscience et les ordres du Dr Kim. Au choc de 300V, Sobor réagit brusquement. Sem le rassure alors : les chocs électriques sont en fait fictifs, et le prétendu élève un acteur. Il lui dévoile le véritable but de l’expérience : le cobaye est non pas l'élève mais l'enseignant, et il s'agit d'étudier jusqu’à quel point peut aller l’obéissance aveugle, l’abdication de son propre libre arbitre chez un sujet.
sc.7 Sem, Sobor, Angela.
Sem baisse le retour micro. Commentaires et réflexions sur la scène précédente et les résultats par Sem. Stupeur de Sobor. Cette expérience a été menée la première fois par le Dr Milgram aux Etats unis en 1963, puis a été reproduite à maintes reprises dans des pays différents et à des époques différentes, avec, malheureusement, toujours les mêmes effrayants résultats. Sem sort. Sobor resté seul un moment, téléphone et fait état de la nécessité d'agir.
 
ACTE II 
Le lendemain ; même cadre.
sc.1 Jean, Ana, Elisa, puis Sem.
Jean s'excuse pour son comportement d'hier. Ana est en proie aux remords. Pourquoi a-t-elle donc agi ainsi ? Elle est revenue aujourd'hui, mais cette fois simplement pour assister, ainsi que Jean. Sem vient les chercher.
sc. 2 Ana, Jean, Sem, Sobor, Elisa, Kim.
même configuration que dans l'acte I, scène 3.
Dernier jour de l'expérience . Ana, Jean, Sem et Sobor au poste d'observation. Kim, Elisa ( amie d'Ana), le cobaye enseignant dans la salle de l'expérience. Seule Elisa est visible. Elle est désignée comme élève.Discussion sur la réaction d'Ana la veille. Aux premiers cris d'Elisa, l'inquiétude d'Ana croît. A 250V, Ana a la même réaction que ce dernier la veille, se rebiffant contre l'autorité dont elle n’est cette fois pas directement sous la coupe. Sobor lui explique alors la teneur de l'expérience. Non, c’est son amie, répond Ana, comme elle étudiante ici, et pas le moins du monde actrice. Les cris d'Elisa ne sont pas des cris de théâtre. Elle veut intervenir. Sem, abasourdi, réalise que de manière incompréhensible, son collègue est en train de mettre en danger Elisa.
sc. 3 Les mêmes moins le Dr Kim ; puis Kim et Jean (scène muette- ou quasi ).
Le retour micro coupé, Ana et Sem se précipitent hors de scène, suivis du juge, et réapparaissent dans la salle d'expérience. 350 V ont entretemps été atteints, il est trop tard. Ils constatent la mort d' Elisa qui a succombé aux décharges. Ana s'emporte, Sobor et Sem la contiennent. Kim et l'enseignant sont déjà partis par une autre porte. Jean et Sem transportent le corps d'Elisa. Sobor accompagne Ana pour la soutenir. Rideau. Kim , suivi de Jean, reparaît sur le devant de la scène et téléphone à Sobor.
 
EPILOGUE
Quelques jours plus tard ; chez Sem et Angela ; intérieur cossu.
Sem, Angela, Pierre, Jean puis Ana.
Selon Jean, " seul quelqu'un de qualifié et ayant librement accès au laboratoire a pu installer un dispositif électrique réel, et le régler de sorte que les décharges atteignent non pas les valeurs annoncées, mais une puissance mortelle... et l'appel que Kim passait à Sobor en sortant hier soir, et qu'il a surpris, laisse peu de doutes. Il accuse Sobor d'avoir manipulé l'expérience-sur ordre du pouvoir, afin de lui ôter tout crédibilité, car on la jugeait dangereuse et compromettante pour ce qu'elle révélait, et on craint une prise de conscience de l'opinion. Kim aura été le cobaye le plus imprévisible et le plus probant de l'expérience. Stupeur et colère.
Arrive Ana, en noir. Ils chantent ensemble un motet à la mémoire de son amie défunte.

 

exp-I,5.mp3

Début de l'expérience.
le Dr Sem et sa femme, le Conseiller du Président. Ils observent l'expérience derrière une glace sans tain. Puis Jean et Ana , les deux cobayes. Enfin le Dr Kim, l'autre chercheur.
 
interprètes :  
Ana Duyret, 1ère cobaye enseignant, soprano , Sterenn Boulbin
Angela, mezzo, Béatrice Toussaint
Elisa,  2nd cobaye élève, mezzo, Béatrice Toussaint
M.Sobor, conseiller du président, ténor, François Rougier
le Dr. Kim, basse, Olivier Peyrebrune
le Dr. Sem, baryton-basse, Jerôme Savelon
Jean, acteur, 1er cobaye élève, baryton-basse, Florent Baffi
Pierre, frère d'Elisa, ténor, François Rougier
 
Samuel Hengebaert, alto
Jean Seleskovitch, cor
Denis Chevallier, piano
prise de son : Martin Fouilleul
Paris, théâtre du Rond Point, 06-06-2011

 

exp-I,6,3.mp3

Fin de l'expérience :

 les deux chercheurs dévoilent au Conseiller du Président le véritable but de l'expérience : les chocs électriques sont en fait fictifs, et le prétendu élève un acteur. Le cobaye est non pas l'élève mais l'enseignant, et il s'agit d'étudier jusqu’à quel point peut aller l’obéissance aveugle, l’abdication de son propre libre arbitre chez un sujet. Analyse des résultats par les deux chercheurs.